Atelier N°4 – Colloque 2013

Le dépistage en cause ?

La prévention une cause

Modérateurs : Omar Brixi et Michel Doré

Introduction par Omar Brixi

Le dépistage du cancer du sein est mis en cause. Plus précisément,  la stratégie systématique et de masse, le test radiologique adopté, et les sur risques des traitements  appliqués. Et ce depuis de nombreuses années.

Ce qui est nouveau ces dernières années, c’est le caractère public de confrontations jusque là confinées dans des milieux scientifiques et institutionnels.

Des publications internationales, quelques travaux français, des médias grands publics, et les dossiers régulièrement mis à jour par la revue indépendante Prescrire,  les ont récemment mis au devant de la scène.

L’utilité et les sur risques du programme organisé de dépistage du cancer du sein, qui a mis plus de 20 ans à s’imposer, sont désormais sur la place publique, aggravant l’angoisse des femmes et la perplexité des professionnels du soin.

Négation, ou arguments défensifs, d’un côté, mises en cause, et dévoilements   de l’autre :  autant d’attitudes  de part et d’autre qui nécessitent un et débat scientifique et public afin de faire la part des choses.

Il faut dire, qu’outre les enjeux économiques, que le climat et l’esprit  de la « guerre contre le cancer » engagée depuis les années 1960, en fait une chapelle ardente, une cause. « Octobre rose », manifestations, engagements et appels de toutes parts en témoignent.

Le dépistage du cancer du sein, pour être emblématique, n’est pas seul  en cause dans ces logiques de sur diagnostics et de sur traitements.

Nous aurons lors de nos échanges à situer ce qui est spécifique et ce qui est plus généralisé.

Par ailleurs, la prévention du cancer du sein, d’autres cancers ou des multiples autres affections chroniques, est loin d’être investie avec les mêmes énergies et ressources.

Pourquoi cet angle mort ?

Et si la prévention, passant par d’autres conditions de vie, de travail, de modes de consommation et de production, était une autre voie ? Voire une autre perspective ?

Ne mérite t elle pas justement qu’elle soit une cause parce que  porteuse d’une autre vision, d’une autre échelle de valeurs, celle de la solidarité et du recul des inégalités sociales.

Les participants à cet atelier sont conviés à interroger ce qui est en cause et ce qui mérite d’être une cause. Avec attention aux postures des uns et des autres et le souci de faire pré- valoir la controverse plutôt que la polémique.

 Carine Vassy

Carine Vassy, Maître de conférences en sociologie à l’université Paris 13, Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux (IRIS) ; 74 rue Marcel Cachin, 93 017 Bobigny cedex – Sophia Rosman, Sociologue, Cermes3 ; Site CNRS. 7 rue Guy Môquet. 94801 Villejuif Cedex – Bénédicte Rousseau, Sociologue, Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux (IRIS) ; 74 rue Marcel Cachin, 93 017 Bobigny cedex

Le dépistage de la trisomie 21 en France : une surmédicalisation ?

Le dépistage prénatal de la trisomie 21 concerne un grand nombre de femmes enceintes en France : 84% d’entre elles ont donné leur consentement pour le test des marqueurs sériques en 2010, contre 61% en Angleterre et 26% aux Pays-Bas (Blondel, 2011 ; Schielen, 2011 ; Ward 2011). Avec une approche sociologique, nous cherchons à comprendre cette spécificité française en analysant les modalités de la politique publique de dépistage et en observant le déroulement de consultations en région parisienne.

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image Vassy trisomie 21


Alain Siary

Cancer du sein et iatrogénèse

Les interventions médicales peuvent s’avérer doublement iatrogènes. Le cancer du sein en est un exemple majeur : On rappelle que le dépistage du cancer du sein a généré une augmentation de son incidence artificiellement alors que la courbe de mortalité se modifiait peu. Ce surdiagnostic est évalué à 30% lors d’une étude récente menée aux EU (1). Mais un autre fait est intervenu dans cette augmentation au milieu des années 90 ; c’est la prescription massive de traitement hormonal de la ménopause. Comme le montre l’étude des variations d’incidence constatées dans le réseau Francim (2), l’infléchissement brutal de la courbe d’incidence, vers le haut d’abord, puis en 2003 vers le bas ne peut s’expliquer par des facteurs environnementaux nouveaux, ou des changements de comportements matrimoniaux. Les 2 éléments nouveaux sont l’extension du dépistage d’abord individuel, puis organisé et le traitement de la ménopause qui a fortement diminué depuis sa mise en cause dans l’augmentation du cancer du sein par l’étude WHI.

Les courbes d’incidence relevées par le réseau Francim sont semblables à celles des autres pays industrialisés où dépistage du cancer du sein et traitement de la ménopause ont coexistés, avant que ce dernier se ralentisse fortement.

Par ailleurs aucune étude n’a apporté la preuve d’une baisse de mortalité attribuable au dépistage .Une baisse de 10 % est envisagée par certains auteurs. Mais le surtraitement engendré par le surdiagnostic s’accompagne d’actes chirurgicaux mutilants associés dans les ¾ des cas à des séances de radiothérapie, dont une étude récente rappelle qu’elle est associée à un surrisque de cardiopathie ischémique survenant au bout de 5 ans : chaque augmentation de 1 gray est accompagnée d’une augmentation d’incidence de 7.4% (3).

Ainsi le surtraitement de femmes victimes du surdiagnostic pourrait diminuer leur espérance de vie(4) .

1) Bleyer et col : Effect of 3 decades of screening mammography on breast cancer incidence. NEJM 2012 367 1998-2005

2) Moliné Flo et col : incidence du cancer in situ et invasive du sein en france 1990-2008. Donnée des registres des cancers ( réseau Francim) BEH 26/09/2012 N° 35.36.37 : 395-398

3) Daby Sarah : Risk of ischémic heart disease in women after radiothérapie for breast cancer. NEJM  2013 368 987-998

4) Baum Michael : Harms for breast cancer screening outweigh benefits if death caused by treatment  is included. BMJ 2013 346: 1385

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 Elena Pasca

Le dépistage du cancer du sein : une construction sociale érigée en science

Depuis les campagnes promotionnelles culminant avec « octobre rose » jusqu’aux informations diffusées pour et par des professionnels de santé, le dépistage organisé du cancer du sein est présenté comme étant l’application pratique d’un argumentaire basé sur des études et des théories scientifiques, tels que le schéma halstedien de l’histoire naturelle du cancer du sein. D’une part, cela a été invalidé par les études scientifiques ; d’autre part, nous montrerons qu’il s’agit d’une mystification. C’est une construction sociale que ceux qui vivent ou participent de ce que l’on a appelé une « industrie du cancer » promeuvent grâce à des méthodes de désinformation et de manipulation (que nous exposerons). Des outils des sciences sociales, en particulier sociologiques et psycho-sociologiques, permettent de déconstruire ce complexe dans ses éléments, de les analyser un par un et d’analyser aussi comment et pourquoi – sous quels influences, biais et déterminants de tous ordres – ils se sont agrégés dans cette construction dont nous ne percevons plus la nature. C’est une forme de généalogie critique au sens de Nietzsche.

Loin d’être un modèle scientifique, le complexe formé autour du dépistage organisé par mammographie est un amalgame d’éléments très hétéroclites: représentations individuelles et collectives (sur la santé, le cancer, les femmes, la fonction de la médecine…), affects contradictoires, intérêts commerciaux et idéologiques, illusions, sophismes, incantations, raisonnements fallacieux, théories scientifiques invalidées et/ou déformées, dogmes scientistes, glissements de l’hypothèse ou du wishful thinking à l’affirmation de certitudes…

Cela commence par la communication, et notamment la projection sur l' »opinion publique » de croyances, opinions et demandes des usagers, fabriquées en fonction de l’offre médicale et jouant sur des leviers psycho-sociaux efficaces depuis la nuit des temps. C’est une manipulation bien connue par la sociologie analysant la « fabrique de l’opinion », les méthodes de persuasion et la création de préjugés et stéréotypes : une désinformation bien menée aboutit à ce que l’opinion pense que ces demandes et représentations émanent d’elle.

Le matraquage publicitaire faisant appel à des affects, des stéréotypes et des situations permettant de s’identifier de même que le jeu d’influences et de manipulations durent jusqu’à ce que les femmes en arrivent à considérer ce qu’on leur prescrit (et on leur impose) comme un droit fondamental qu’elles auraient, comme un acte de liberté, traduction de leur libre arbitre, comme une demande émanant d’elles-mêmes.

Il faut décortiquer les méthodes de manipulation pour comprendre pourquoi le dépistage organisé marche : pourquoi et les femmes et les professionnels de santé jouent le jeu, pour la plupart d’entre eux, quelles sont les motivations et comment se forment leurs représentations et leurs décisions. Lorsque nous l’aurons compris, nous pourrons faire des critiques ciblées pour espérer créer une prise de conscience et renverser l’état actuel d’adhésion au dépistage organisé – et d’adhésion à une « médecine préventive » déformée (cf. David Sackett) en général. Ces critiques devront aller bien au-delà des simples arguments scientifiques qui montrent l’étendue du surdiagnostic et démontrent que le dépistage est inefficace, qu’il ne réduit pas la mortalité, que la précocité du diagnostic n’est pas synonyme de plus de chance, etc. Car les sciences sociales ont montré que les préjugés, les croyances et opinions issus de manipulations ne peuvent pas être combattus par la simple exposition de faits rationnels, surtout lorsque ces préjugés se présentent sous des dehors scientifiques et de bon sens, comme dans le cas du dépistage, où les mystifications telles que la précocité semblent relever du bon sens. Il faut les contrecarrer sur leur terrain ; d’autant que la raison semble court-circuitée dès que le mot « cancer » est prononcé.

La généalogie critique d’une telle construction sociale permet de comprendre comment s’est mise en place la désinformation, comment elle se fait et à qui elle sert. Il ne s’agit nullement d’une conspiration ou d’un complot. C’est une convergence d’influences, de biais, d’intérêts et de conflits d’intérêts, mais aussi d’initiatives bénévoles et désintéressées, déformées car se déroulant dans les limites d’un complexe qui les instrumentalise et les récupère.

La déconstruction critique de ce complexe permettrait de libérer ces énergies bénévoles et désintéressées, les mettre à l’abri des instrumentalisations, pour qu’elles soient au service de l’intérêt de la santé des femmes et non pas au service de tous les intérêts de ceux qui veulent parler à leur place et en leur nom, parce qu’ils sont les seuls détenteurs des informations.

La déconstruction permettrait aussi de penser la refonte de l’ensemble des cadres administratifs-statistiques-pseudo-scientifiques sur lesquels se fondent les dépistages organisés et la « médecine préventive ».

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Le dépistage organisé du cancer du sein est un assemblage de divers rouages qui s’emboîtent de mieux en mieux, à chaque octobre rose. Quelques exemples:

  • représentations individuelles et collectives sur la santé, le cancer, la prise en charge médicale…
  • affects qui peuvent varier énormément d’une personne à l’autre, qui accompagnent les représentations
  • des stéréotypes sur les femmes, sur ce que serait leur représentation de la santé, ainsi que sur la relation hommes/femmes
  • croyances au progrès technique et scientifique et à la résolution technique de tout problème; la médecine technicisée et appliquée de façon bureaucratique, administrative, comme dans le cas du dépistage systématique du cancer du sein, est l’une des traductions du scientisme. La médecine préventive montre à quel point certains dogmes scientistes – et notamment ceux qui servent des intérêts précis (marchands, idéologiques…) dans le capitalisme néolibéral sont enchevêtrés avec les cadres administratifs de notre existence. C’est l’une des raisons pour lesquelles la critique passe tellement mal, en particulier auprès des gestionnaires, décideurs et administrateurs (au sens large, incluant les politiques et le haut de la fonction publique). Parce que la mise en place de cette critique aurait des conséquences sur l’ensemble du système de santé et des jalons administratifs de nos vies. Je parle de la critique des dépistages, mais plus généralement de la critique de cette médecine agent de contrôle social (que j’ai décrit comme médecine préventive, prédictive, mais aussi prescriptive et proscriptive en ce qu’elle émet des préceptes (sur nos comportements, etc.) et que les normes qu’elle prescrit deviennent des normes sociales qui seront reprises et intégrées par les différentes administrations. Et celles-ci vont promouvoir, voire imposer ces normes, plus ou moins directement, donc faire en sorte d’orienter les comportements (valoriser certains, bannir ou stigmatiser d’autres) et pousser les individus vers une adaptation, et même vers un ajustement à ces normes. Et c’est exactement ce qu’il faut au capitalisme néolibéral: des individus adaptés, uniformisés, permutables, normalisés, bref, contrôlables sous une forme acceptée, voire demandée, car elle ne montre pas sa violence (la « correction » médico-pharmacologique et la prévention sont non seulement largement acceptées et entérinées, mais même réclamées par la population et conçue comme une chance qu’offre le système)
  • représentations qui montrent que la médecine technicisée – traduction de la logique néolibérale dans une santé marchandisée – a été accepté comme un moyen de gestion des populations, comme un moyen d’administration et de contrôle social, sous des prétextes divers (prévention, dépistage, capacités prédictives, économies pour la Sécurité sociale…)
  • causes justes, mais instrumentalisées (les questions de genre, le mouvement féministe, certaines spécificités de la santé des femmes…)
  • sophismes et raisonnements fallacieux répétés comme des rengaines faisant appel au supposé « bon sens ». Le bon sens dit que la détection précoce est forcément une bonne chose, alors que rien de tel n’a été démontré; qu’une tumeur dépistée tôt aurait plus de chances d’être curable; qu’une lésion petite voudrait dire qu’on l’a dépistée tôt dans son évolution, alors qu’elle est peut-être là depuis 10 ans mais n’a pas évolué; qu’une mammographie négative veut dire pas de cancer, alors qu’il existe des cancers visibles et palpables qui ne sont pas vus sur les clichés…
  • l’ignorance voulue et entretenue (elle est confortable pour les usagers, car elle les décharge de la responsabilité qu’ils auraient dans un modèle de décision médicale partagée (rien à voir avec un « consentement » soi-disant éclairé à ce qui est imposé par divers biais et influences); si cela tourne mal, les usagers retrouveront leur rôle d’éternelles victimes. Pour les professionnels de santé, les industriels et tous ceux qui vivent de l’industrie du cancer, etc., l’ignorance permet de concrétiser des intérêts divers
  • en complément parfait de l’ignorance viennent les certitudes affichées, même si elles sont illusoires, car non prouvées ou démenties par les faits. Cela inclut aussi l’illusion de précision et d’exactitude qui va de pair avec l’attitude scientiste et bureaucratique, donc avec ces cadres administratifs-statistiques pseudo-scientifiques qui régissent non seulement les dépistages, mais toute notre santé.
  • narcissisme des acteurs et décideurs scientifiques et administratifs renforcé par l’inertie des habitudes, des pratiques médicales et administratives. Ce serait très difficile d’admettre que l’énorme majorité des médecins se sont trompés, déjà à la base, dans leur interprétation de l’histoire naturelle du cancer du sein et du schéma de pensée et d’action qu’ils en tirent. Et tous ceux qui ont prescrit et prescrivent des mammographies régulières sans jamais prendre au sérieux les informations, acceptant la désinformation, devraient faire leur autocritique. Nous en sommes loin, d’autant que le paiement à la performance fait (comme jadis le CAPI: contrat d’amélioration des pratiques individuelles) les incite à prescrire encore plus de mammographies. C’est de la surmédicalisation voulue par la Sécurité sociale
  • incantations et pensée magique (wishful thinking), du genre « le dépistage marche! »; illusions et façons de conjurer le sort. Le vocabulaire guerrier – on déclare régulièrement la guerre au cancer – renforce cette pensée d’une solidarité des petits soldats unis contre le grand méchant cancer, sous les ordres de quelques généraux qui, lorsqu’on regarde de près, ont des intérêts bien différents de ceux des soldats engagés effectivement dans la bataille. Le ruban rose est très important dans cette guerre économique, car il occulte les dimensions terre-à-terre sous des visions nobles, éthiques, humaines… et que le lien qu’il crée culpabilise et empêche la critique, sous peine de paraître rompre cette chaîne infinie qui vaincra le cancer
  • clichés d’une psychologie reflétant l’individualisme néolibéral: l’attitude positive, la solidarité à la façon des réseaux sociaux, etc. C’est comme si la critique du dépistage organisé manquerait de respect aux « survivantes » et aux femmes qui souffrent en ce moment même d’un cancer du sein dépisté grâce à la mammographie de dépistage. En effet, comme toutes les campagnes marketing de l’industrie pharmaceutique ou autre, les mouvements de type « octobre rose » mettent en avant des « survivantes« , afin de culpabiliser les critiques, dissuader celles et ceux qui diraient autre chose, et afin de minimiser le surdiagnostic et les autres méfaits (faux positifs, cancers radioinduits, surtraitements, violence psychologique de l’annonce et de l’attente, …)
  • des intérêts marchands (commerciaux, publicitaires…), industriels, idéologiques et autres
  • une relation médecin/patient de mauvaise qualité, pour laquelle la responsabilité est partagée par les deux parties et qui entretient la désinformation des uns et des autres

 

Gérard Delépine 

Dépistage des cancers de la prostate par le PSA : scandale financier, gâchis humain

En  2011 le Preventive Services Task Force  a conclu à son inefficacité. L’inventeur du PSA l’a énergiquement désavoué (N Y Times) qualifiant son invention de «désastre de santé publique» (imperfections et  coût démesuré : 3 milliards de dollars aux USA).

En France en  2010, environ 5 millions de tests  : coût financier direct : 400 Millions  euros + biopsies inutiles (150 Euros / biopsie) + surtraitements ( 5000 euros / cancer)  au total plus de 500 Millions euros.

Si on supprime le dépistage systématique, on économise 500 M euros, souffrances,  arrêts de travail,  vies gâchées.

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Matthieu Yver

Surdiagnostic du cancer de la prostate : rôle de l’anapath

L’anatomopathologiste est le diagnostic final de référence dans le dépistage du cancer. La cytologie est souvent utilisée dans le dépistage. Or sa fiabilité est faible. L’histologie est plus fiable mais on a plus souvent des biopsies que la pièce d’exérèse , qui reste la référence. Les frottis et la cytoponction thyroïdienne, sont très imprécises car cytologiques. Mais les biopsies prostatiques ne sont pas aussi fiables qu’on pourrait le croire et nous allons dans cet exposé voir pourquoi.

En 15 ans d’anapath, j’ai observé empiriquement que sur les pièces de prostatectomie, je trouve plus le temps passe, des cancers de plus en plus petits, voire pas de cancer du tout. Ce fait m’a intrigué. J’ai donc retrouvé une publication du John Hopkins Hospital de 1997 avec l’expert mondial en uropathologie Jonathan Epstein (3) qui affirme que depuis la mise en place du PSA on détecte plus de foyers minimes de cancer (<70cc). Or le problème est bien là. Un foyer de moins de 0,070cc est-ce un cancer ? Était-il utile de l’enlever ? Un foyer de moins de 0,070cc, c’est moins de 5 mm. Ça veut dire que dans environ 4% des cas en 1993, on a enlevé toute la prostate pour un foyer de cancer millimétrique, un carcinome qui a l’air d’un carcinome mais qui aurait peut être jamais fait parler de lui ! C’est peut être juste un carcinome in situ. Un cancer de moins de 5 mm dans un organe comme le colon, c’est presque toujours dysplasique, in situ mais ce n’est pas infiltrant, donc pas mortel.

 

Le problème dans la prostate c’est que le diagnostic de la malignité ne tient pas compte de l’infiltration comme dans le cancer du colon. Dans le cancer du colon c’est facile ; Quand la sous muqueuse est effractée c’est un cancer infiltrant donc potentiellement métastasiant ; Si la musculaire muqueuse n’est pas franchie, ça reste de la dysplasie ou du carcinome in situ, aucun risque métastatique si on l’enlève rapidement. Or dans la prostate normale, les fibres musculaires lisses contrairement au colon sont intimement mêlées aux glandes donc ce critère de malignité n’existe pas. On n’a donc morphologiquement comme critère de malignité que la « gueule » des cellules et l’architecture globale.

 

Ainsi Gleason en 1960 n’utilise dans son fameux score que « la sale gueule » des cellules (morphologie) et l’architecture. Moins les glandes ressemblent au tissu environnant plus le Gleason s’élève et la mortalité aussi. Ainsi Gleason 8-10 ça ne pose pas de problème, c’est malin (20% de survie à 15 ans) ; Gleason 7 (40% de survie) OK ; Gleason 6 (80% de survie à 15 ans) : On commence à se poser des questions, c’est presque bénin. En dessous de 6 est ce malin ? On peut se poser la question. Le Gleason 4, ça n’existe pratiquement plus car on a montré que c’était la plupart du temps de l’adénose, donc bénin. Les séries autopsiques nous montrent que l’incidence du carcinome est de 10-80%. En réalité ça augmente avec l’âge. A 80 ans 8 personnes sur 10 ont un carcinome prostatique.

L’épidémiologie (2) comparative nous apprend qu’un carcinome prostatique met 10 ans avant d’être cliniquement parlant, c’est à dire nocif. 1 carcinome sur 4 deviendra un vrai cancer maladie. Ainsi le diagnostic de carcinome sur la biopsie n’est pas synonyme de maladie cancéreuse. Actuellement certains auteurs proposent de plus en plus d’adapter la conduite thérapeutique. Devant un foyer de moins de 4mm et Gleason < 7 sur la biopsie (c’est à dire moins de 5% du matériel examiné car on fait 6 biopsies en général soit une longueur totale de prostate examinée de 100 mmx1x1mm soit environ moins de 1% de la prostate). Certains recommandent parfois de ne pas pratiquer une prostatectomie mais une surveillance active.

 

Selon Epstein, une glande suffit pour le diagnostic de cancer de la prostate, si on en est sur. Mais comment être sur ? Jusqu’aux années 90 on n’avait pas d’immuno-histochimie pour le diagnostic de cancer prostatique. Fin des années 90 apparait la ck903. Dans les années 2000, apparait le couple d’anticorps p63/p504s. La prostate est le seul organe en pathologie où l’on utilise le pin cocktail. l’anapath l’utilise beaucoup maintenant. Si il y a une ou plusieurs glandes suspectes et que l’anapath hésite, il demande comme immuno le pin cocktail. Si la p63 est négative et la p504s (racemase) positive, alors l’anapath signe « carcinome ». Mais a-t-il raison ? Dans l’adénose, lésion bénigne et diagnostic différentiel du carcinome, la p63 peut être négative focalement et la racemase peut être fortement positive ! De plus en plus d’article dans la littérature font état du surdiagnostic (1) et de l’inutilité du dépistage (4). Il est évident que « carcinome » dans la prostate ne veut pas dire maladie cancéreuse métastasiante.

 

Mais manifestement le problème est complexe et les dogmes difficiles a dépasser. Car en fait, tout est affaire de philosophie. Veut-on l’immortalité ? Enlevons-nous préventivement des 50 ans la prostate, le colon, le pancréas, le poumon et gardons quand même le cerveau pour méditer sur le monde…

 

(1) J Natl Cancer Inst Monogr. 2012 Dec;2012(45):146-51. Overdiagnosis of prostate cancer. Sandhu GS, Andriole GL. Division of Urologic Surgery, Washington University School of Medicine, 4960 Children’s Place, St. Louis, MO 63110, USA.

(2) Am J Epidemiol. 1998 Oct 15;148(8):775-85. Asymptomatic incidence and duration of prostate cancer. Etzioni R, Cha R, Feuer EJ, Davidov O. Fred Hutchinson Cancer Research Center, Seattle, WA 98109-1024, USA.

(3) Am J Surg Pathol. 1997 Feb;21(2):174-8.Increasing incidence of minimal residual cancer in radical prostatectomy specimens. DiGiuseppe JA, Sauvageot J, Epstein JI.

(4) Screening for prostate cancer. Ilic D, Neuberger MM, Djulbegovic M, Dahm P. Department of Epidemiology&PreventiveMedicine, School of PublicHealth&PreventiveMedicine, MonashUniversity,Melbourne,Australia. dragan.ilic@monash.edu.

(5) Arch Ital Urol Androl. 2009 Mar;81(1):9-12.Minute focus of prostate cancer on needle biopsy: correlation with radical prostatectomy specimen. Montanari E, Del Nero A, Gazzano G, Mangiarotti B, Bernardini P, Longo F, Cordima G, Itri E. Department of Urology, San Paolo Hospital, University of Milan, Italy.

(6) No residual cancer on radical prostatectomy after positive 10-core biopsy: incidence, biopsy findings, and DNA specimen identity analysis. Trpkov K, Gao Y, Hay R, Yimaz A. Department of Pathology and Laboratory Medicine, Anatomical Pathology, Rockyview General Hospital, University of Calgary, Calgary, Alberta, Canada. kiril.trpkov@cls.ab.ca

(7) Minimal or no residual prostatic adenocarcinoma on radical prostatectomy: a 5-year experience with « vanishing carcinoma phenomenon ». Kosarac O, Zhai QJ, Shen S, Takei H, Ro JY, Ayala AG. Department of Pathology, The Methodist Hospital, 6565 Fannin St, Houston, TX 77030, USA. okosarac@tmhs.org

(8) Intérêt des nouveaux marqueurs histologiques du cancer de prostate : Alpha Méthylacyl CoA Racemase (P504S) et p63 Vincent MOLINIE (1), Jean-Marie HERVE (2), Pierre-Marie LUGAGNE (2), Laurent YONNEAU (2), Stéphane ELLARD (2), Thierry LEBRET (2), Henry BOTTO (2), (1) Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Hôpital Saint Joseph, Paris, France, (2) Service d’Urologie, Hôpital Foch, Suresnes, France Prog Urol, 2005, 15, 4, 611-615

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