Le disease mongering ou le façonnage des maladies
Modérateurs : Eléna Pasca et Michel Thomas
Disease mongering / façonnage de maladies. Formes, méthodes et conséquences
Introduction
Nous définirons le contexte socio-historique qui permet que le marketing l’emporte sur la R&D, alors que les brevets des blockbusters expirent. De nouveaux marchés sont créés, pour maintenir rendement et profits, s’adapter à l’augmentation de certaines maladies et exploiter économiquement une médicalisation portée par l’idéologie néolibérale traduite dans un système entièrement surmédicalisé.
Nous tenterons de comprendre les conséquences de cette idéologie et pourquoi la société les accepte : l’interventionnisme d’une médecine agent de contrôle social qui extirpe la différence, normalise et uniformise ; la médicalisation des étapes de la vie, des états physiologiques, des émotions… Nous verrons comment les normes médicales deviennent des normes sociales, légitimant les « corrections » médico-pharmacologiques (renforcer la performance et le corps, allant jusqu’à la perfectibilité transhumaniste ; prévenir grâce aux dépistages, aux bilans réguliers, à la génétique…). L’approche descriptive, empirique et prétendument athéorique du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) traduit le déclin de la démarche psycho-dynamique centrée sur le sujet et prenant en compte son environnement social, en faveur de « troubles mentaux » aux critères de diagnostic délibérément vagues, individualisés, légitimant le recours systématique à la psychopharmacologie et aux thérapies comportementales et cognitives.
Quant aux acteurs : des associations et d’autres « entrepreneurs moraux » s’ajoutent à l’industrie pharmaceutique et aux professionnels de santé comme façonneurs de maladies. Nous le comprendrons en étudiant les leitmotivs et les méthodes de disease mongering: désinformation pour ancrer certains clichés démentis par les faits (tels que la précocité ou le nombre d’examens qui seraient synonymes de meilleure chance); communication attisant la peur ; exigence illusoire de réduction et de prédiction du risque, en déformant le sens de la prévention : prévention mesurée en termes quantitatifs (nombre de dépistages, examens génétiques, check-ups…, dont le bénéfice et l’efficience ne sont pas évalués) ; invention de maladies ; redéfinition de maladies existantes, selon des techniques que nous détaillerons ; baisse des seuils de « normalité » ; facteurs de risque présentés comme des maladies ; demande de « prise en charge » médicale du quotidien, conçue à tort comme une mesure de la qualité du système et de la démocratisation de la santé ; étiquette médicale sur des comportements relevant autrefois du jugement moral, religieux, juridique…
Elena Pasca
Méthodes de disease mongering et leurs conséquences concrètes
Des analyses socio-économiques seront citées pour montrer comment s’opère l’inversion entre marketing et recherche et développement, comment s’instaure le marketing relationnel et avec quelles conséquences. Puis nous verrons comment se construisent les principales formes actuelles de marketing pharmaceutique étayant la surmédicalisation, notamment dans les années 90, lorsque plusieurs obstacles éthiques et sociétaux tombent, par exemple quant à la médicamentation psychotrope des enfants. Pendant cette période, la publicité directe aux consommateurs devient une routine aux Etats-Unis, la psychopharmacologie gagne son acceptabilité sociale avec la série des ISRS (Inhibiteurs Sélectifs de la Recapture de la Sérotonine), ce qui entraîne un changement d’échelle dans la surmédicalisation. Le cercle vicieux entre l’offre qui crée la demande et le consumérisme des usagers fait que des lifestyle drugs, des interventions de confort – et la « correction » médico-pharmaceutique en général, entraînée par les diverses techniques de disease mongering – sont vus comme un « droit », comme un signe de démocratisation de l’accès aux soins.
C’est dans les années 90 et 2000 que sont prises des décisions incarnant le dogme marketing « lower is better », par des comités d’experts grevés de conflits d’intérêts. Les exemples concrets (baisse des seuils de « normalité » de la pression artérielle, de la densité osseuse, du cholestérol, de l’indice de masse corporelle, etc.) permettront d’estimer les conséquences, puisque la littérature donne certains pourcentages de bien portants qui se retrouvent étiquetés malades et éligibles à des traitements médicamenteux chroniques. Ces exemples, ainsi que certaines caricatures et parodies, puis des références aux critiques classiques du disease mongering, permettront aussi d’en exposer les principales techniques.
Celles-ci vont de pair avec des techniques communicationnelles de désinformation : manipuler, persuader, faire peur (scare mongering, fear mongering sont les deux expressions à l’origine du terme), donner l’illusion d’un risque zéro et de la fiabilité d’une médecine devenue préventive et prédictive, fiabilité qui nécessiterait que les usagers jouent le jeu des dépistages organisés et autres bilans réguliers.
Il est nécessaire de dégager et catégoriser ces techniques récurrentes, par-delà les épiphénomènes particuliers, afin de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène limité, qui désignerait juste quelques maladies inventées. Le façonnage de maladies devient inhérent à l’ensemble du système néolibéral surmédicalisé, dont il justifie, banalise et permet la reproduction, avec juste quelques modifications superficielles qui permettent une adaptation sans changements structurels. Et ce d’autant plus que le disease mongering n’est pas pratiqué uniquement par le complexe médico-industriel ; des associations d’usagers et autres « entrepreneurs moraux » très divers utilisent de plus en plus les mêmes méthodes, par exemple dans leurs exigences de médicalisation d’un phénomène.
Jean-Claude St Onge
Tous fous!
Le marketing de l’industrie pharmaceutique et la biopsychiatrie qui multiplie les diagnostics inscrits au DSM, ont joué un rôle clé dans la transformation de la détresse psychologique en « maladie mentale » et créé une fausse épidémie de « troubles mentaux », ce qui a entraîné une véritable épidémie de surdiagnostics et de surtraitements.
En réduisant l’être humain à une machine biochimique, la biopsychiatrie naturalise la détresse psychologique et la misère sociale ; elle transforme les émotions en symptômes, ne faisant aucun cas du contexte social et personnel des individus ni de leur histoire de vie ; elle évacue le rôle des conflits intérieurs, des grandes questions existentielles et des agressions de l’environnement social et physique.
Cliquer sur l’image pour ouvrir la présentation
Les mondiales du médicament font la promotion agressive du traitement pharmacologique de la souffrance émotionnelle à partir d’essais cliniques souvent biaisés et manipulés, s’appuyant sur des théories réduisant ces difficultés à des dysfonctions du cerveau, théories qui n’ont jamais été validées. Elles font la promotion illégale et hors indication des neuroleptiques aux enfants et aux vieillards atteints de démence ce qui entraîne des conséquences dramatiques.
« En 20 ans, la consommation d’antidépresseur a progressé de 400%.Onze pour cent des Américains de 12 ans et plus en font usage habituellement sur plus de 2 ans et 14% les emploient depuis au moins une décennie. »
» En 2009 ,au Canada, près de 700 000 ordonnances de neuroleptiques ont été distribués aux moins de 13 ans . »
« Chez les enfants, les diagnostics de bipolarité ont été multipliés par 40 entre 1994 et 2003, passant de 20 000 à 800 000. Chez les bénéficiaires d’une assurance privée, 1 enfant sur 70 entre 2 et 5 ans consomme un psychotrope. Ce taux est quatre fois plus élevé chez les pauvres, qui bénéficient du régime gouvernemental Médicaid qui rembourse moins bien les consultations et la psychothérapie que les médicaments. Autrement dit, la psychothérapie pour les classes aisées et les médicaments pour les pauvres . »
« En 2008, les ventes d’antidépresseurs et de neuroleptiques totalisaient 24 milliards de dollars aux Etats-Unis, soit près de 48 fois plus qu’en 1986. Ce montant se compare à tous les médicaments d’ordonnances consommés au Canada. Une telle somme pourrait employer 240 000 psychothérapeutes au salaire annuel de 100 000 dollars . » ( J.-Claude St-Onge.)
« La France caracole en tête de la consommation mondiale par habitant. Entre 20 et 25% de nos concitoyens ( des femmes pour les deux tiers ) avalent plus ou moins régulièrement ces pilules parées à leurs yeux de toutes les vertus. Au total, quelque 200 millions de boîtes sont vendues dans l’hexagone. Trois ou quatre fois plus que dans la plupart des pays européens. un coût qui dépasse le milliard d’euros annuel pour la collectivité . » (Guy Hugnet )
Article revue Le cercle psy : La fabrique des maladies mentales
Alain Giami
La médicalisation de la sexualité: un exemple paradigmatique
Directeur de recherche à l’INSERM
Inserm, CESP Centre de recherche en épidémiologie et Santé des Populations, U1018, Equipe Genre, santé sexuelle et reproductive, F-94276, Le Kremlin Bicêtre, Franc
La communication vise à présenter les débats conceptuels qui se déroulent autour de la notion de médicalisation depuis les premiers travaux de Zola et Conrad et leur reprise par des auteurs français tels que Foucault, ou Lanteri Laura. Les controverses entre médicalisation et sur médicalisation seront abordées à partir des exemples des troubles sexuels et de la prévention du VIH qui seront considérées comme deux formes socialement différenciées et valorisées de médicalisation de la sexualité. On tentera d’établir les formes de médicalisation qui sont socialement acceptables et de les distinguer de celles qui le sont moins.
L’homosexualité étant réprimé jusqu’au 20ème siècle, notamment par la déportation. Il faut attendre 1981 pour dépénaliser l’homosexualité. L’homosexualité constituait un « trouble du comportement sexuel » jusqu’en 1981 , date à laquelle les manuels de psy cessent de la considérer comme une maladie. Des millions de personnes sont devenues bien-portantes.
Article revue Andrologie 1998 : La médicalisation de la sexualité
« Construction médicalisée d’un problème au détriment des approches psychologiques et relationnelles des troubles de la sexualité . »
Article : « Les Formes contemporaines de la médicalisation de la sexualité »-2009
Alain Giami y expose les différentes représentations de la sexualité au cours des siècles. Comment s’élabore le champ et les processus de la « médicalisation de la sexualité » qui peuvent devenir excessifs. La pathologisation des comportements et des subjectivités qui est une des formes centrales de la médicalisation . Le concept de santé sexuelle comme bien être et épanouissement personnel.
Xavier Briffault
Le rôle de l’évaluation par les échelles dans la sur-prescription des psychotropes
Chargé de recherche en sciences sociales au CNRS, CERMES3.
Cliquer sur l’image pour ouvrir la présentation
Les troubles mentaux n’ont pas de physiopathologie établie permettant de mesurer les effets thérapeutiques sur un objet naturel. On a donc recours à des échelles, proxies de syndromes supposés représenter une pathologie X sous-jacente. On peut alors prétendre que Y est un traitement de X dès que Y produit dans un ECR un p significatif en modifiant n’importe quels éléments d’une échelle. Ceci a des effets mécaniques sur la sur-prescription des psychotropes. Différentes pistes sont envisageables pour y remédier.
Quelques pistes : cliquer sur le lien pour ouvrir la présentation
Le Monde
En 2006, le « Washington post » précise que les experts qui ont fabriqué les DSM3 et DSM4 (Manuel Statistique et Diagnostique des Troubles Mentaux) étaient financés à 70% par l’industrie pharmaceutique.
Rachel Campergue
Comment les techniques classiques de marketing sont utilisées dans la campagne de dépistage du cancer du sein
Partant du principe que « les campagnes de santé publique sont une forme de publicité comme une autre » (Panese et Barral, 2009), nous tenterons d’exposer la dissonance entre les slogans d’Octobre rose et la réalité afin que :
1/ La décision de participer ou non au dépistage soit dépouillée, autant que faire se peut, de toute interférence illégitime.
2/ Les soignants prennent conscience des pressions auxquelles sont soumises tant leurs patientes qu’eux-mêmes.
Cliquer sur l’image pour ouvrir la présentation
Rachel Campergue détaille toute les techniques manipulatoires de la vente et de la publicité pour inciter les femmes à faire « une mammographie » dans le contexte de la campagne « octobre rose » organisée par le Ministère de la Santé.
« Elles se construisent sur quelques stratégies simples mais efficaces : Il s’agit de réduire,frustrer, érotiser,aliéner,récupérer,conditionner et infantiliser. Le principe de base de la publicité est de réduire à l’extrême le message et de le simplifier à outrance pour créer une analogie entre le produit et une conduite ».
Exemple : « Elle a montré ses seins, elle a sauvé sa vie » ou « Le dépistage, un geste d’amour ».
Philippe Breton disait « On ne peut pas lutter contre une influence qu’on ne perçoit pas ».
Des publicités culpabilisantes, jouant sur les mécanismes de la peur, la peur de la mort avec effet de dramatisation. Mais « la peur de la mort se révèle parfois mortelle ».
Légitimant leurs propagandes par des médecins experts corrompues par des intérêts financiers.
Créant une confusion entre « Prévention » et « Dépistage ».
Alors que l’incidence des cancers à un stade avancé, ne diminue pas, malgré toutes ces mammographies.
C’est dans la tranche d’âge des 70-74 ans que l’incidence du cancer du sein est élevée, pourtant les données concernant son dépistage de masse sont rares et les publicités n’affichent que des femmes jeunes et sexy le plus souvent.